mardi, 09 juin 2009
Le français à Genk, c'est impossible.
Lors d'un débat de la télévision publique flamande, la VRT, j'ai découvert que l'usage des langues en Flandre était régi, non pas par la Constitution, la législation ou les directives et autres circulaires, mais par un non-dit étrange.
Lois linguistiques et journalisme
Gerolf Annemans (Vlaams Belang, extrême-droite ultranationaliste flamande) s'y révoltait de ce qu'un candidat d'origine turque eût imprimé son tract électoral en néerlandais d'un côté, en turc de l'autre. Le candidat répondit tout de go à cet extrémiste que son parti, le Vlaams Belang, avait lui-même affiché en néerlandais et en français à Bruxelles. Pour un parti ultraflamingant, chercher à récolter des voix francophones est, reconnaissons-le, un rien bizarre.
C'est à ce moment-là du débat que la présentatrice, journaliste chevronnée, crut bon d'abonder dans le sens du candidat d'origine turque, présentant son initiative comme une bonne idée, dès lors que certains primo-arrivants ne maîtrisaient pas la langue et que donc, une traduction turque du tract (à répéter dix fois) n'était pas choquante. Elle précisa qu'en revanche, un tract bilingue néerlandais-français, à Genk ou ailleurs en Flandre, ça, ce n'était pas imaginable ! Tout le monde, des socialistes aux néo-nazis présents, acquiesça.
J'en suis resté pantois : la Constitution belge garantit à tous l'usage libre de sa langue à tous égards, excepté pour l'administration (mais un tract électoral ne relève pas de l'administration mais du droit de chacun à se présenter aux élections dans la langue de son choix) et pour la justice. Et voilà un débat diffusé sur une chaîne officielle, nationale, mené par des journalistes politiques, sensés informer le public, qui décide du contraire. Non, le français sur un tract électoral, à Genk, petite ville du Limbourg (néerlandophone), à 100 km à l'est de Bruxelles, ce n'est « pas imaginable » !
Loi et pas de loi.
Pourtant, la Flandre se targue d'être un état de droit. C'est d'ailleurs au nom du sacro-saint respect soi-disant très germanique de la Loi que Marino Keulen, ministre flamand de l'Intérieur (ou plutôt ministre de l'Intérieur flamand) refuse obstinément de nommer trois bourgmestres francophones ainsi punis d'avoir envoyé des convocations électorales en français aux… Francophones ! (Avouez que ce geste té"moigne d'un incommensurable manque de respect aux… Néerlandophones !) Cette Flandre qui ne considère que les lois qui l'arrange, prend celles qui lui conviennent comme prétexte pour justifier des décisions brutalement absurdes : ces bourgmestres-là n'avaient rien fait d'illégal, ils avaient seulement refusé d'obéir à une circulaire ministérielle qui leur paraissait abusive. Pourtant, en Flandre, il n'est pas de commentateur politique, ni de journaliste (à quelques rares exceptions près) pour admettre, pire, écrire, que cette attitude est la cause de la réputation abominable du Plat Pays à l'étranger et que les mauvaises réputations, partout dans le monde, valent bien qu'on se montre un peu, voire trop tolérant.
Partout dans le monde, sauf dans les états totalitaires, évidemment. Là, on se fout bien de son image. La Flandre n'est évidemment pas un état totalitaire, mais sa manière de considérer sa population francophone (de 150.000 à 300.000 âmes) est tout à fait inquiétante. Ainsi, dans une ville de Flandre comme Overijse, où vivent plus d'un tiers de francophones, et près de 40% de non-néerlandophones, il est selon cette journaliste (et dans la réalité) inimaginable qu'un candidat aux élections s'adresse à ses électeurs francophones en français.
J'ai décortiqué le cheminement qui a permis d'en arriver là (et plus loin encore). Il est trop long pour l'aborder ici. Mais il est fait d'âpreté et d'une description très négative du Francophone dont, désormais, peu de Flamands peuvent s'affranchir totalement.
Vous et moi, vu d'en haut.
Ainsi, le Francophone est paresseux, profiteur, incompétent, surtout s'il est wallon. Il est envahissant et envahisseur. Il refuse de parler le néerlandais parce qu'il cherche impérativement à manquer de respect aux Néerlandophones. Il est bourgeois. Il n'est pas dynamique. Je n'invente rien, parcourez les blogs de Het Laatste Nieuws quand il s'agit de communautaire, les commentaires sont rempls de ça et de pire. Pourtant, heureusement, un Francophone qui se rendra en Flandre (surtout en Flandre profonde) a plutôt plus de chances d'être accueilli avec beaucoup de sympathie et de bonhomie qu'avec mépris. Alors, quoi?
Eh bien, c'est comme le résultat de ces élections. La Flandre boite. Ça tombe bien. « Refuser de céder », en néerlandais, se dit « de been stijf houden », ce qui signifie : garder la jambe tendue. La Flandre veut avoir (eu) raison (depuis les élections précédentes). En 2007, elle a déclaré que le pays ne pouvait survivre sans une réforme de l'état profonde, un confédéralisme très poussé où elle aurait beaucoup d'avantages, les autres régions beaucoup d'inconvénients. Elle a aussi déclaré que les Francophones ne pouvaient pas comprendre cette nécessité, dès lors qu'ils souffraient de malgouvernance. A aucun moment, la Flandre n'a imaginé qu'être le lieu en Europe où l'extrême-droite était la plus puissante pouvait être vu comme un problème de gouvernance à long terme. Mais passons.
La Flandre institutionnelle arrive donc avec la jambe tendue par la N-VA (centristes nationalistes), soi-disant gagnante des élections (mais avec seulement 13 % des voix — encore un paradoxe !) qui refuse toute vraie négociation, et la jambe légèrement pliée du CD&V (chrétiens-démocrates, véritables gagnants des élections) qui prône un « véritable dialogue ». Cette dernière assertion reste à démontrer, dès lors qu'à la dernière proposition de dialogue avec les Francophones, le CD&V avait mis comme préalable une liste de sujets absolument tabous qui étaient, par un pur hasard, justement les seuls qui pouvaient intéresser les Francophones. Présenter des conditions de dialogues inacceptables pour ensuite fustiger l'Autre parce qu'il fait la seule chose possible dans ce cas, à savoir refuser la discussion, c'est aussi une technique totalitaire.
Le pays scindé par la tendance politique ?
De Standaard, relayé par pas mal de journalistes au Nord comme au Sud, explique que le pays est désormais divisé entre un Nord de droite et un Sud de gauche. Je trouve ça suspect. On tenterait de prouver que le pays est ingouvernable qu'on n'écrirait pas autre chose. Mais la réalité, c'est qu'en créant des régions et des communautés qui avaient autant de pouvoirs que l'état central, les concepteurs du fédéralisme belge ont cédé une clé de trop aux nationalistes. Et quelles que soient les coalitions, quels que soient les résultats des élections, on reviendra toujours à cette même donnée : on a laissé la Flandre créer ses symboles et leur donner plus d'importance qu'à ceux de l'état belge. On a laissé les médias flamands faire croire à leur public qu'ils pouvaient s'en sortir mieux s'ils abandonnaient la Wallonie à son sort et si les Francophones, ultramajoritaires à Bruxelles, y perdaient tout pouvoir. On a laissé des ministres chrétiens-démocrates comme Yves Leterme faire des plaisanteries sur l'intelligence supposée moindre des Francophones, et dans Libération encore !
Ce laisser-faire, c'est le mal du pays, il domine tout, il régit tout. C'est lui qui provoquera la séparation si elle arrive un jour. Par le peuple, pas les Flamands. Mais le non-dit, le tacite, le déjà-su, le trop-évident-pour-en-parler. Une sorte de conscience collective imposée même à ceux qui la refusent comme une Vérité incontournable. J'ai trouvé des tas de miettes dans les médias de ces bouts de vérités qui forment un tout amenant même un Olivier Mouton du Soir à affirmer que la Wallonie a eu tort de n'être « demandeuse de rien ». Or, elle a simplement exprimé une évidence : si la Flandre veut tirer tout le bénéfice de l'état à elle, alors, l'état n'a plus aucun intérêt pour les Wallons. Donc, il faut discuter, marchander. C'est ce que la Flandre de Bart De Wever refuse. Elle veut tout, sans discussion. Encore un aspect récurrent des totalitarismes.
Il y a bien sûr quelques hommes courageux au Nord qui tentent d'abattre ce tissu de « vérités ». Il y a Herman De Croo qui remue ciel et terre pour dire aux électeurs de ne pas croire n'importe quoi. Il y a Verhofstad qui crie aux Flamands de se ressaisir et de ne pas tomber dans le piège du nationalisme. Oui mais voilà. Même au parti socialiste flamand, où l'on pourrait espérer que règne un esprit un tant soit peu internationaliste, les grands tabous de la Flandre sont désormais scellés dans les esprits et la « frontière linguistique » (concept totalitaire s'il en est) ne bougera pas. C'est une députée OVLD qui l'a rappelé dans un débat télévisé : personne, en Flandre, n'accepterait plus qu'on touche à cette frontière. C'est une frontière d'état. Et que se passe-t-il, s'il vous plaît, quand des gens tentent de modifier des frontières d'état ? Boum !
Pourtant, le mot « frontière linguistique » n'apparaît pas dans la… Constitution. En vrai, elle n'existe pas. Ce que la Flandre revendique, c'est une billevesée.
Mais tout ça, cette intransigeance, cet univers mental francophobe, c'était vrai depuis une décennie, déjà. Et que le CD&V veuille une confédération n'a rien de nouveau. L'autre chose non-nouvelle, c'est que la Francophonie n'en veut pas, à l'instar de Guy Verhofstad qui veut faire la chose intelligente à faire : refédéraliser ce qui fonctionne mieux nationalement, régionaliser tout ce qui fonctionne mieux régionalement. C'est fou tellement c'est évident ; il suffisait d'y penser. Mais chez ces gens-là… Bref.
Qu'est-ce qu'un électeur ?
Paradoxe ! écrivait De Morgen. Entre les électeurs qui ont d'une part voté pour la (très relative) sagesse du CD&V qui accepte de négocier et qui ont d'autre part, et en même temps, fait doubler le score de la N-VA qui veut au contraire « tenir la jambe tendue ». Ne rien céder. Paradoxe ? C'est tout ? Moi, je dirais plutôt que c'est le bordel. Comptons : il y a huit partis en Flandre dont un seul dépasse (à peine) les 20%. On se croirait en Italie à la grande époque de la démocratie chrétienne. Les opinions communautaires au sein même de chaque parti vont dans tous les sens. Alors que l'électeur a mis ce thème comme énième priorité (au point que la campagne flamande n'a pratiquement pas abordé le sujet), dès que les résultats des urnes furent connus, tous les états-majors ont remis la question communautaire en tout-haut de la liste. Ça fait plaisir à l'un ou l'autre fervent communautariste et il y en a dans chaque parti : le socialiste Frank Vandenbroucke trouve qu'on parle beaucoup trop souvent des langues étrangères dans les clubs de sport autour de Bruxelles. Pour lui, le français est évidemment une langue étrangère.
Paradoxe ? Non : la politique et l'électorat n'ont plus le moindre rapport au Nord. Un tiers des électeurs votent pour les listes « Rejet de la Politique » (LDD 7%, VB 15% , une partie des électeurs N-VA 13 %). Ce n'est pas nouveau. Mais la Flandre fait comme si rien ne s'était passé : elle a toujours raison et voilà qu'au lieu de s'affoler des résultats, elle se congratule : elle se réjouit à juste titre que le Vlaams Belang recule (d'un quart de ses voix) mais ne voit pas qu'il reste le deuxième parti de la région et qu'on est en fait très loin de pouvoir s'autoriser à pavoiser.
En réalité, la Flandre va méga-mal. Les 5 listes fréquentables doivent se partager un gâteau bouffé par les extrêmes (droite, nationaliste, populiste). Alors, évidemment, ça ne va pas être facile. Pour personne. D'où ma conclusion, très différente de celle de beaucoup d'éditorialistes : non, on ne peut pas dire que le pays soit plus disloqué aujourd'hui qu'avant-hier. Hormis une belle progression de la N-VA acquise probablement au détriment du Vlaams Belang tout aussi nationaliste, mais moins intelligent. Ce n'est donc pas le résultat des élections qui aura raison de cette nation. Du reste, ce n'est que la dixième fois qu'au terme d'un scrutin, l'on annonce que cette fois, la Belgique est foutue. Un pays ne s'écroule pas pour des différences de tendances politiques. Quand au début du siècle passé, la Bavière était très à droite, sa capitale Munich s'inventait un destin carrément communiste. Munich, aujourd'hui, est pourtant toujours en Bavière.
Mais oui, on peut cependant affirmer que l'avenir est sombre pour la Belgique fédérale. Que les gens qui seraient en mesure, à terme, de la faire exploser disposent d'un pouvoir médiatique et politique excessif au Nord, a fortiori sur l'état fédéral, peu importe qu'ils soient politiques ou non, au pouvoir ou pas. La N-VA de Bart De Wever dispose, avec 7% seulement des électeurs belges, d'une force de frappe populaire et publique d'une nature cinq à six fois supérieure, notamment parce que la presse nordiste a d'emblée acclamé le « formidable score » avec une mention spéciale pour Het Nieuwsblad qui titrait : « 70% des Flamands veulent voir la N-VA au gouvernement flamand. » Etonnant, non ? Si ça avait vraiment été le cas, n'auraient-ils pas, du moins on l'espère, voté pour ce parti au moins à, mettons, 30 % ? Mais pas 13 ! A propos, il a voté pour qui, le rédac'chef qui a laissé passer ce titre absurde ?
Percussion finale.
Peut-être que ces élections ne sont qu'un crash-test de plus pour notre avenir commun. Parce qu'on aura toujours un avenir commun. Parce que les imbrications de cette nation sont trop étroites. Et là, on va, ensemble, dans le mur. Et ce n'aura pas été à cause des Flamands en tant que « peuple », mais bien d'un univers politique et médiatique distordu par toute une série d'événements, de mythes, d'un tissu d'extravagances sur la personnalité du « Francophone » oisif et libidineux..
Il y aura eu la continuité, depuis près de cent ans à présent, des messages haineux d'un nationalisme qui n'a jamais complètement oublié qu'il a été très proche du nazisme. Ce mal est fait, il est intégré à l'imaginaire flamand au point que, la veille des élections, la VRT diffusait benoîtement un documentaire sur Hugo Schilz, le pape nationaliste (mais royaliste) de la Volksunie. Le Flamand qui m'a révélé ça se demandait ce que la VRT cherchait à obtenir. Un autre jour, la SABAM soutient la très nationaliste fête du Chant Nationaliste Flamand, soutenu par ailleurs par toute l'extrême-droite flamande.
Le décor est planté, on ne jouera que la pièce pour laquelle il fut conçu. On ne peut plus faire machine arrière. Il faudrait un événement épouvantable pour que nos amis du Nord comprennent qu'ils chevauchent désormais un train fou.
La question pour moi n'est donc pas de savoir si ce pays existera encore dans 5, 10 ou 15 ans, mais bien dans quel état ces affrontements insensés l'auront alors laissé. Et là, je ne donne pas cher de la Belgique. En tout cas pas plus que l'action Fortis, première victime, à mon avis, de la faiblesse fédérale. Il y en aura probablement beaucoup d'autres.
© Marcel Sel 2009. Tous deoits réservés pour le monde entier. Reproduction interdite sans accord écrit de l'auteur.
02:05 Publié dans Humeurs du Nord | Lien permanent | Commentaires (5) | |
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Commentaires
Merci Marcel pour ses intéressantes réflexions! Je reviendrai
Bises
Écrit par : Mélusine | mercredi, 17 juin 2009
Répondre à ce commentaireNous y comptons!
Écrit par : Marcel Sel | mercredi, 17 juin 2009
Répondre à ce commentaire@ Marcel
---"la Flandre n'a imaginé qu'être le lieu en Europe où l'extrême-droite était la plus puissante pouvait être vu comme un problème de gouvernance à long terme. "---
Ne serait-ce pas plutot la Hollande aui a le taux d'extreme droite le plus eleve en Europe??
Écrit par : Ben | mardi, 11 mai 2010
Répondre à ce commentaire@Ben : la Hollande est à 17% et c'était une pointe. Wilders est déjà en train de retomber parce qu'il n'a pas de machine électorale derrière lui. La Flandre, si je compte le VB (plus de 800 mandataires en 2008!!!!!) + la partie de la N-VA antidémocratique (KVHV, Ijzerwake, ANZ, etc.), je suis quand même encore à plus de 20% (c'est une estimation très "imaginaire", je le reconnais). Quant à Anvers, on est toujours à une personne sur 3…
Écrit par : Marcel Sel | mardi, 11 mai 2010
Répondre à ce commentaireMerci pour la precision
Écrit par : Ben | mardi, 11 mai 2010
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